
Une résolution a été adoptée au Sénat invitant le gouvernement à utiliser toutes les voies possibles du droit pour faire reconnaître comme crime de génocide les exactions de Daech envers les chrétiens d’Orient et les minorités religieuses. Des initiatives en ce sens existent déjà et concernent, au-delà des djihadistes de Daech, tous ceux qui commettent des crimes en Syrie et en Irak, mais les obstacles sont nombreux.
« Cette idéologie totalitaire, nous devons la combattre par la force du droit et de la justice. Combattre ce totalitarisme par le droit, mes chers collègues, c’est s’opposer à la barbarie avec ce qui fait notre force : nos propres valeurs. » C’est ainsi que Bruno Retailleau, sénateur LR de Vendée et a exposé l’objectif de la proposition de résolution invitant le gouvernement à utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak. « Il faut, d’abord, utiliser les deux voies à notre disposition : essayer de convaincre le gouvernement irakien de rendre compétente la Cour pénale internationale sur son sol, dans ses frontières ; saisir le Conseil de sécurité des Nations unies, au risque de se voir opposer des vetos », a poursuivi Bruno Retailleau dans son discours au Sénat le 6 décembre dernier.
Adopté ce même jour à l’unanimité – les groupes communistes et écologistes se sont abstenus – le texte n’a pour l’instant qu’une portée symbolique. Les obstacles pour faire reconnaître le crime de génocide sont nombreux. « La France poursuivra ses efforts pour que la Cour pénale internationale puisse être saisie. C’est un long chemin, a reconnu le secrétaire d’État Matthias Fekl, devant les sénateurs. Vous en connaissez mieux que quiconque les obstacles, en particulier le fait que la Syrie ne soit pas partie au Statut de Rome et qu’une saisine par le Conseil de sécurité serait probablement bloquée par un veto. Toutefois, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à des moyens pour que justice soit rendue. »
Les sénateurs à l’origine de la proposition de loi ont identifié deux moyens principaux d’action. Le premier : déférer les auteurs de ces crimes devant la Cour pénale internationale (CPI). Le problème est que ni l’Irak ni la Syrie ne sont signataires du Statut de Rome. Le Sénat appelle donc le gouvernement à tout faire pour convaincre ces gouvernements de rendre compétente la Cour pénale internationale (CPI) sur leur sol.
Deuxième axe : saisir le Conseil de sécurité des Nations unies. L’exposé des motifs de la proposition rappelle d’ailleurs que la France a déjà tenté en mai 2014 de faire adopter une résolution visant à ce que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale de l’ensemble des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises en Syrie par l’ensemble des parties au conflit. Celle-ci avait été rejetée par la Russie, alliée du régime syrien. « Si nous nous en tenons, dans un premier temps, à l’État islamique et au territoire de l’Irak, je pense que nous pouvons ensemble faire en sorte de désamorcer les vetos des grandes nations qui siègent au sein du Conseil de sécurité et qui se sont déjà opposées à cette solution », plaide Bruno Retailleau.
Une position qui a poussé les groupes écologistes et communistes à s’abstenir. « Il n’est fait aucune mention, ni dans l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution ni dans son dispositif, des autorités syriennes sous la houlette de Bachar el-Assad, de ses alliés, les Russes, et des milices étrangères, qui commettent quotidiennement des crimes de guerre, notamment à Alep », a ainsi regretté la sénatrice écologiste Esther Benbassa. Le texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 8 décembre, avec les mêmes réserves exprimées par certains.
Un effort mondial pour faire reconnaître les crimes de génocide
De nombreuses assemblées et parlements ont adopté des résolutions allant dans le même sens. En avril 2016, c’est le Parlement européen qui a reconnu les crimes de Daech envers les minorités religieuses comme étant un « génocide », les deux chambres britanniques ont fait de même, tout comme la Chambre des représentants des États-Unis.
Un vote similaire a échoué au parlement du Canada. « Le Canada condamne avec fermeté les atrocités commises par Daech au Moyen-Orient (…), mais la détermination du génocide doit être menée de façon objective et responsable. C’est pour cela que nous avons formellement demandé aux autorités internationales compétentes de donner leur avis sur cette question » a expliqué Justin Trudeau, le premier ministre du Canada.
« Nous ne sommes pas forcément dans une revendication revancharde, explique pour sa part Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk. Je crois que les faits parlent d’eux-mêmes. Il faut maintenant qu’ils soient étudiés au cas par cas par la justice nationale et internationale de façon équitable. Malheureusement, la justice n’est jamais rapide. Recueillir les témoignages prendra du temps, et je crains que la vengeance se manifeste plus tôt que la justice. Les sunnites voudront se venger contre d’autres sunnites qui ont pris leur maison, les chiites contre les sunnites… »
Des procédures en cours
En France, la Coordination chrétiens d’Orient en danger (CHREDO) a déjà déposé une plainte auprès de la CPI en septembre 2014. « L’objectif est simple, explique Me Samia Maktouf, avocate de l’association. Nous voulons faire condamner pour crime de génocide et crime de guerre les djihadistes français qui commettent des exactions en Syrie et en Irak et jouent un rôle important dans les organisations djihadistes, que ce soit Daech ou Al Qaida. » Selon l’avocate, deux réunions de travail ont déjà eu lieu à la CPI. « Nous avançons avec le bureau de Madame le Procureur Fatou Bensouda. Il nous faut maintenant des noms de djihadistes ressortissants européens, dont les pays ont signé le Statut de Rome, afin d’avoir une chance d’ouvrir vraiment le dossier. »
Ce genre de dossier est extrêmement difficile à instruire car il implique d’enquêter sur des zones difficilement accessibles et qu’il vise des personnes encore « en activité ». « Des preuves sous forme de vidéos et de photos, comme celles diffusées sur les réseaux sociaux, peuvent être utiles, mais leur authenticité ainsi que la date et le lieu où elles ont été réalisées doivent être établis », souligne Human Right Watch.
Au nom de la CHREDO, Samia Maktouf a déposé aussi une plainte auprès du Parquet de Paris en février 2016. « Nous n’avons pour l’instant aucun retour », assure-t-elle.
Les « revenants », premières brèches dans l’impunité
Face au repli de Daech ou d’autres groupes terroristes, de nombreux djihadistes reviennent sur leur sol d’origine. Par ailleurs, dans le cadre de la crise des réfugiés, des victimes, mais aussi des suspects syriens ou irakiens, sont arrivés en Europe. Leurs procès « constituent les premières brèches dans l’impunité et les premières tentatives crédibles pour traduire en justice les personnes responsables d’avoir terrorisé des civils pendant les récents conflits en Syrie et en Irak » , souligne dans un rapport l’ONG Human Right Watch.
Le premier a avoir été jugé coupable de torture en tant que crime de guerre en Europe est Mohannad Droubi, un Syrien, combattant de l’Armée syrienne libre. En février 2015, il a été condamné par un tribunal suédois pour avoir torturé un membre supposé de l’armée régulière syrienne et avoir posté la vidéo sur Facebook. Il avait obtenu un permis de séjour en Suède en 2013.
De son côté, l’Allemagne a ouvert, en plus d’enquêtes portant sur des cas précis, une enquête plus large, dite « structurelle », « visant à collecter les preuves disponibles en Allemagne afin de faciliter de futures procédures pénales devant des tribunaux allemands ou autres », rapporte Human Right Watch.
Devant le Sénat, le 6 décembre, le secrétaire d’État Mathias Fekl a tenu a souligner les efforts de la France pour traduire devant la justice les djihadistes de retour sur le sol français. Il a ainsi communiqué aux sénateurs les derniers chiffres du parquet général de Paris, en date du 28 novembre 2016. « 464 procédures judiciaires en lien avec la zone Syrie-Irak ont été ouvertes au pôle antiterroriste de Paris depuis 2012 ; quelque 369 dossiers sont toujours en cours, dont 167 informations judiciaires et 204 enquêtes préliminaires ; 331 individus sont actuellement mis en examen ; 207 sont placés en détention provisoire et 114 sous contrôle judiciaire ; 135 individus ont été jugés ou visés dans des informations judiciaires clôturées, 61 étant en attente d’un jugement et 74 condamnés ; 19 affaires, concernant, au total, 74 personnes, ont été jugées. S’agissant plus spécifiquement, parmi ces données, des chiffres relatifs au traitement judiciaire des combattants de retour en France, nous comptabilisons 167 personnes, dont 43 condamnés, 110 mis en examen, 13 prévenus et 1 témoin assisté. »
Source : La vie, Article de Laurence publié le 12/12/2016
Laisser un commentaire