Appel en ordres dispersés pour les chrétiens d’Orient

Concurrence et divisions au sein des catholiques et des musulmans pour soutenir la minorité religieuse menacée, notamment en Irak par l’Etat islamique.

Djellaba blanche et Crocs bleues aux pieds, le vieil homme, comme à son habitude, harangue la foule à la sortie de la prière du vendredi à la grande mosquée de Paris. «Il ne faut pas tuer les chrétiens», répète-t-il, rencontrant un accueil plutôt favorable. Pendant le prêche, l’imam a longuement évoqué les chrétiens d’Irak, apportant le soutien des musulmans de France, dénonçant les actes commis au nom de l’islam par l’Etat islamique.

Les musulmans de France unis contre l’Etat islamique

La foule à peine dispersée, une délégation de la Coordination des chrétiens d’Orient en danger (Chredo), association créée l’an dernier, est arrivée pour rencontrer les autorités de la mosquée de Paris, dont son recteur, Dalil Boubakeur, également président du Conseil français du culte musulman (CFCM).

Ensemble, mardi, ils ont lancé «l’Appel de Paris», en soutien aux minorités chrétiennes orientales. Afin de mobiliser la communauté musulmane, ils avaient demandé à ce que les mosquées de l’Hexagone, lors de la grande prière de vendredi, manifestent leur soutien aux chrétiens d’Orient.

Il est difficile d’évaluer l’écho que l’appel a reçu sur le terrain. Très relayé médiatiquement, il suscite de l’embarras, autant du côté des autorités catholiques que de courants importants de l’islam de France. L’ex-président du CFCM Mohammed Moussaoui, à la tête de l’Union des mosquées de France (UMF) – un réseau de 400 lieux de culte, proche du gouvernement marocain -, regrette de ne pas y avoir été associé. Même chose pour l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, qui rassemble 300 mosquées françaises, absente, elle aussi, de cet Appel de Paris.

Cavalier seul

Les deux réseaux ont pourtant manifesté au cours de l’été leur soutien aux chrétiens d’Irak et pris clairement leur distance avec le «califat» autoproclamé de l’Etat islamique. Depuis juin, l’UMF s’est, elle, spécifiquement engagée dans un programme de formation des imams officiant dans ses mosquées, afin de lutter contre la radicalisation d’une frange de la jeunesse musulmane.

«L’initiative du Chredo et de la grande mosquée de Paris a surtout coupé l’herbe sous le pied à d’autres», regrette un responsable catholique, fin connaisseur des milieux musulmans français. En marge du CFCM, quelques leaders, parmi lesquels le recteur de la grande mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, et Mohammed Moussaoui, souhaitaient monter une opération unitaire et montrer que l’islam de France pouvait se rassembler dans le soutien aux chrétiens d’Orient. «L’idée était d’organiser une manifestation au parvis des Droits de l’homme, place du Trocadéro à Paris», explique l’un des soutiens à ce projet.

Las ! Certains, comme l’influent Dalil Boubakeur, ont préféré jouer cavalier seul. Dans les milieux catholiques, on redoute que le soutien aux minorités d’Irak et aux chrétiens d’Orient ne soit politiquement instrumentalisé. Patrick Karam, le bouillant et habile animateur du Chredo, d’origine libanaise et petit-fils d’un chrétien maronite, est un élu UMP (conseiller régional d’Ile-de-France) très introduit dans les milieux parlementaires. Le recteur de la grande mosquée de Paris a été, lui, un compagnon de route de longue date de la droite.

Ces dernières semaines, des initiatives en tout genre ont donc fleuri, un peu dans le désordre, donnant l’impression que chacun tirait la couverture à soi. Ainsi les catholiques intégristes de Civitas ont prévu une manifestation de soutien, le 21 septembre à Paris. Pour ne pas être en reste, la Manif pour tous, elle aussi, a des velléités de rassemblement devant Notre-Dame de Paris, une initiative pas encore concrétisée. Et à cette occasion, chacun cherche des alliés parmi les musulmans de France. «De fait, ils ont été parmi les premiers en Occident à marquer leur distance avec les jihadistes de l’Etat islamique», souligne le père Christophe Roucou, directeur du Service national pour les relations avec l’islam (SRI), l’instance officielle des évêques de France pour le dialogue avec les musulmans.

Ubi et Orbi

Le directeur de l’Œuvre d’Orient (principale association catholique française d’aide aux chrétiens orientaux qui existe depuis plus de cent cinquante ans), le père Pascal Gollnisch, cache à peine, lui aussi, un certain agacement : «Bien sûr, je me félicite du soutien apporté aux minorités chrétiennes.Mais que les associations fassent leur travail et que les politiques fassent, de leur côté, le leur.»

Boubakeur et Karam n’entendent pas en rester là. Ils comptent organiser le 6 décembre à Paris une conférence internationale sur ces questions et faire résonner urbi et orbi leur «Appel de Paris». D’ores et déjà, ils assurent avoir pris des contacts très positifs avec les autorités religieuses d’Arabie Saoudite et Égypte, notamment à Al-Azhar, l’une des principales institutions de l’islam sunnite. Dieu y reconnaîtra sûrement les siens…

Source : Libération

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