
Patrick Karam, président de la Coordination des Chrétiens d’Orient en Danger (CHREDO), ancien délégué interministériel, a participé ce mardi 8 septembre à la conférence intergouvernementale de Paris, co-présidée par la France et par la Jordanie, sur les «victimes des violences ethniques et religieuses du Moyen-Orient».
Patrick Karam considère que la tenue de cette conférence est un acte politique important et constitue en soi un succès, puisqu’elle a rassemblé 60 pays, des dignitaires religieux et des ONG qui sont intervenus sur trois thématiques: humanitaire, politique, judiciaire et tient à adresser au ministre Laurent Fabius et à toute l’administration du Quai d’Orsay toutes ses félicitations pour ce tour de force politique. L’Espagne d’ailleurs reprendra le flambeau l’an prochain pour une évaluation des avancées.
Plusieurs dizaines de mesures à plus ou moins long termes, différentes déclarations d’intention marquent la première pierre pour un plan en faveur des victimes des violences ethniques et religieuses. La création d’un fonds d’aide spécificité doté de 10 millions d’euros que pourront abonder les collectivités territoriales, la contribution de l’AFD à hauteur de 15 millions d’euros sont des signaux encourageants.
Toutefois, Patrick Karam considère que ces mesures sont des réponses partielles à un problème global dans le contexte de la dramatique progression de la gangrène islamiste qui déstabilise tout l’Orient ainsi que l’Afrique; des centaines de milliers de migrants qui fuient la guerre, la misère, les persécutions et qui déferlent sur l’Europe; des persécutions contre les minorités et notamment les Chrétiens qui signent la fin de leur présence deux fois millénaires en Orient, et enfin de la radicalisation de Français et d’Européens et du terrorisme islamiste qui s’intensifiera sur nos sols. D’abord cette conférence qui se tient sur une petite demi-journée, insuffisante pour aller au fond des choses, n’aborde pas des sujets essentiels,
Patrick Karam émet cinq réserves :
- D’abord cette conférence n’aborde pas la priorité absolue qui est de gagner la guerre,
- ensuite l’aide humanitaire dans les camps est réservée aux minorités alors qu’il devrait aller à tous les réfugiés sinon la crise des migrants s’intensifiera,
- un fonds de reconstruction alimenté par une conférence des donateurs n’est pas annoncé,
- le volet judiciaire ne prévoit pas la fin de l’impunité pour les États complices,
- enfin la spécificité de la question des Chrétiens d’Orient est niée.
Cette conférence n’aborde pas ce qui devrait être la priorité absolue: gagner la guerre.
La conférence de Paris aurait pu être l’occasion d’une révision de notre stratégie pour gagner la guerre dans les délais les plus courts. Mais ce chantier, qui aurait dû figurer comme priorité absolue puisqu’il conditionne tout le reste, n’est même pas abordé. Pourtant, notre stratégie est une impasse politique et militaire et il faut regretter la position du président de la république de ne pas engager de troupes au sol. La décisión de la France de participer aux bombardements en Syrie est essentiellement symbolique puisque la France rejoint une coalition qui bombarde déjà en Syrie, que deux tiers des avions reviennent sans avoir pu lâcher les bombes faute d’avoir des fixeurs au sol et enfin qu’en Irak les bombardements ont échoué à faire reculer Daech.
Nos gouvernements doivent absolument se ressaisir et revoir radicalement leur stratégie, afin de détruire au plus vite les fabriques de terroristes qui déstabilisent l’Orient, menacent l’Afrique, poussent des vagues de réfugiés vers l’Europe et qui endoctrinent par milliers des Français et des Occidentaux en nous exposant à des actions sur notre sol. Nous devons, dans cet objectif, monter une large coalition internationale, à laquelle devraient adhérer des pays réticents ou spectateurs, coalition capable de se projeter militairement sur le terrain, au sol, en Irak, en Syrie, en Libye et de nouer des alliances conjoncturelles même contre-nature dans ce seul but.
L’aide humanitaire est réservée aux minorités
Il faut aider tous les réfugiés dans les camps et pas uniquement les victimes religieuses et ethniques.
Cette conférence aborde la question humanitaire sous l’angle de l’aide aux minorités victimes ethniques et religieuses dans les camps. Il faut regretter qu’elle ne soit pas élargie à tous les réfugiés..
Patrick Karam, considère qu’il est contreproductif et inhumain de faire le tri entre les bons réfugiés, ceux que nous aiderions sur le terrain, et les autres qui seraient condamnés à fuir en Europe au péril de leur vie. Pour éviter l’afflux de centaines de milliers de migrants sur nos sols, il est prioritaire d’aider tous les camps de réfugiés et de déplacés qui sont dans les pays de la région et qui n’ont même pas le strict nécessaire pour survivre, (au Liban notamment où les camps comptent 1,5 millions de syriens pour 4 millions d’habitants).
La vraie priorité est de tout mettre en œuvre pour maintenir les populations dans la zone car le départ de populations, notamment syriennes, éduquées et formées, est une fuite dramatique des cerveaux qui vident les pays de leurs élites, les appauvrissent et empêcheront toute reconstruction et tout développement économique une fois la paix revenue.
La création d’un fonds spécifique d’aide trop faiblement doté ne permet pas la reconstruction
Le volet humanitaire prévu par les organisateurs de la conférence à travers une aide d’urgence pour « répondre aux besoins immédiats » est un premier pas important pour le court terme mais insuffisant. Les déplacés ou les réfugiés ne reviendront pas dans leur village, si on ne s’engage pas à les aider matériellement à se réinstaller.
Le président de la CHREDO demande la création d’un fonds spécifique d’aide notamment destiné aux Chrétiens et aux minorités pour la reconstruction des maisons, des hôpitaux, des écoles mais aussi des églises qui sont des lieux de vie indispensable de solidarité, de culture et d’identité. Il faut pour cela réunir une conférence de pays donateurs pour que les moyens déployés soient à la hauteur des enjeux pour redonner espoir à ces populations.
Le volet judiciaire ne mentionne pas les poursuites contre les États complices
La conférence ne prévoit pas de poursuivre les États complices et de mettre fin à leur impunité . Au-delà des simples personnes physiques qui sont seules à être ciblées par la Conférence de Paris, il est nécessaire de viser aussi les États qui jouent double jeu. Ils doivent craindre des poursuites pour complicité. On pense bien sûr à certains États du Golfe.
Mais il faut aussi avoir en mémoire le rôle funeste de la Turquie, pour laquelle le quotidien turc Cumhuriyet avait publié fin mai 2015 des photos et une vidéo qui prouvent la livraison d’armes aux rebelles extrémistes syriens début 2014.
Ce pays, déjà coupable du génocide arménien qu’il refuse de reconnaitre, est, un siècle plus tard, de nouveau complice du génocide des chrétiens d’Orient, des yézidis et des minorités en permettant le trafic d’hommes, d’armes et de pétrole sur son sol au bénéfice des organisations terroristes qui sévissent maintenant sur notre sol et en Europe.
Sa pseudo-participation dans la guerre menée contre les mouvements extrémistes n’est qu’un leurre. Les bombardements turcs visent surtout les kurdes qui combattent réellement les mouvements terroristes en Irak et en Syrie et qu’elle affaiblit ainsi.
La Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont aidé à créer en 2015 « l’Armée de la Conquête » en Syrie, une coalition incluant des factions islamistes dont le Front Al Nosra, pourtant affilié à Al Qaida et veulent utiliser la dangereuse carte de l’opposition entre djihadistes pour combattre Daech en Syrie, faire tomber Damas et en filigrane contrecarrer l’expansionnisme iranien perçu comme menaçante.
Les pays du Golfe et la Turquie en particulier dans leur obsession anti-chiite et dans leur stratégie de « containment » de l’influence iranienne vendent cette alliance à des pays occidentaux crédules ou appâtés par l’ouverture de marché ou la vente d’armes.
C’est oublier qu’à la fin l’Occident est toujours l’ultime cible des islamistes et que les États sunnites finissent par payer le prix de ce marché de dupes, comme l’Afghanistan nous l’a largement prouvé par le passé. La Turquie bénéficie de l’aide financière européenne (6 milliards d’euros de 2002 à 2013 en aide à la pré adhésion).
Nous demandons à la France de peser sur l’Union Européenne pour suspendre tous les financements accordés à la Turquie et obliger les pays concernés à clarifier leur position en donnant la preuve de leur engagement total contre les extrémistes.
La CHREDO considère que la Turquie n’a pas sa place à la conférence de Paris qui lui servira de tribune pour se dédouaner et regagner une crédibilité internationale alors qu’elle continue son double jeu.
Cette conférence nie la spécificité des Chrétiens d’Orient dans le contexte de persécution et d’accélération de l’exode des Chrétiens d’Orient qui ne sont plus que 3% alors qu’ils représentaient dans les années 50 entre 15 et 20% des populations d’Orient
Patrick Karam regrette que cette conférence sacrifie au « politiquement correct » au détriment de la réalité du terrain, puisque son libellé, « les victimes des violences ethniques et religieuses », ne vise pas explicitement le génocide des Chrétiens.
Leur spécificité est niée puisqu’ils sont présentés comme des « victimes » parmi d’autres de simples « violences » et pas de crimes contre l’humanité ou de génocide. Les Chrétiens sont pourtant les premiers et les principaux garants de la diversité culturelle et ethnique et les plus menacés de disparaitre partout en Orient.
Ils sont pris pour cibles uniquement parce qu’ils sont chrétiens, qu’il faut effacer toute trace des racines chrétiennes des pays où ils vivent et qu’ils rappellent l’Occident honni et non, comme d’autres, parce qu’ils s’opposent politiquement ou par les armes à la terreur djihadiste. Ils sont d’ailleurs proportionnellement les plus touchés.
A la différence d’autres communautés, les Chrétiens d’Orient n’ont pas de territoire sanctuaire où ils pourraient se réfugier, ils n’ont pas d’armée pour les défendre, ils n’ont pas de partis politiques pour porter leurs intérêts (sauf au Liban), et ils n’ont pas non plus de protecteurs internationaux. Les chiites sont défendus par l’Iran.
Ils ont un sanctuaire où ils peuvent se réfugier et une armée pour les protéger. Les Etats du Golfe portent à bout de bras les sunnites, les financent et les arment. Les Kurdes ont leur territoire, une armée puissante et ils peuvent aussi compter sur l’Occident.
Patrick Karam regrette cette occasion manquée qui marque un choix idéologique imposé par certains participants, et que la France aurait dû refuser avec la dernière énergie.
Communiqué de Presse 8 septembre 2015 | CHREDO Communication